« Triptyque argentin », Jordi Bonells

Dans le cadre de mon travail de bibliothécaire, j’ai pu voir passer l’ensemble des listes des titres de la prochaine rentrée littéraire. Avec chaque titre résumé en quelques lignes, il est difficile de faire le tri. Heureusement, certains livres portent en eux un petit quelque chose qui éveille la curiosité et incite à s’y pencher plus attentivement. Alors que ma connaissance de la littérature argentine était quasiment nulle, sortie de Borgès qui ne m’a pas laissé de bons souvenirs, ce « Triptyque argentin » m’a permis de me réconcilier avec elle.

Comme son titre l’indique, le livre nous propose trois histoires successives enchâssées dans une même trame narrative. « Le dernier tournant » nous fait suivre le parcours d’un ancien acteur de seconde zone et ancien collaborationniste qui tente de reconstruire sa vie en exil en Argentine à la fin de la seconde guerre mondiale. « Gambit argentin » nous emmène à la même époque dans l’univers des échecs, où les réfugiés juifs ayant fui l’Europe se retrouvent à devoir côtoyer leurs anciens tortionnaires. Enfin, « La visite », nous met aux prises avec un ancien tortionnaire tenu pour mort à la chute de la junte militaire, mais traqué pour les exactions qu’il a pu commettre.

Malgré la juxtaposition de ces trois intrigues successives, le roman constitue un ensemble très cohérent et bien construit qui parvient à entraîner avec lui le lecteur. Il aborde de manière très fine l’exil et les difficultés qu’il provoque pour reconstruire sa vie. Même si dans la plupart des cas évoqués dans ce triptyque, il répond à une exigence de survie, il est vécu comme un véritable déracinement et ne laisse jamais complètement indemnes ceux qui y sont contraints. Jordi Bonells nous fait découvrir un Argentine terre d’accueil au sein de laquelle ont pu trouver refuge sans trop de distinction victimes et bourreaux. Cette situation chaotique s’explique notamment par la situation politique argentine, marquée par coups d’Etats, répression et instabilité, qui ont conduit au besoin de « recycler » certains des bourreaux qui pourraient bien rendre des services. Cela aboutit à une société où les personnalités s’estompent et où on l’on ne retrouve plus, comme sur un échiquier, les noirs d’un côté et les blancs de l’autre. Les pions se confondent au gré des vengeances et des changements politiques dans une teinte de niveaux de gris. Certains recherchent l’oubli, la distance ou même la disparation, les autres la vengeance et une certaine forme de justice.

Un livre très profond qui nous questionne sur le devenir des hommes et leur faculté de se (re)construire pour faire face aux hasards et aux caprices du destin.

« Triptyque argentin », Jordi Bonells, éditions Bouquins, 352 pages.

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