Rentrée et prix littéraires : regard d’un éditeur sur le système français du livre

Pour la rentrée littéraire 2021, il faudra compter sur pas moins de 521 romans. Ce nombre est en légère hausse par rapport à l’année dernière (511), laquelle a été marquée par la crise sanitaire. Il reste toutefois bien en-deçà de celui enregistré il y a une dizaine d’année avec 654 ouvrages concernés à l’époque !


Plus de 500 livres pour la rentrée littéraire de l’automne 2021, cela me paraît beaucoup trop, même pour le lecteur passionné que je suis. Et en qualité de bibliothécaire, je peux vous dire qu’il est bien difficile de suivre le rythme afin de jeter un œil même rapide sur toutes les nouveautés.


Cette rentrée littéraire va s’accompagner du couronnement de certains ouvrages par plusieurs prix littéraires qui ont pour but de faire connaître certains auteurs.
Pour parler de ce sujet, j’ai eu envie d’interroger une petite maison d’édition, afin d’avoir son avis sur la frénésie liée à la rentrée littéraire ainsi qu’aux différents prix qui viennent s’échelonner dans les mois à venir.


Fabrice est éditeur aux éditions du Lamantin, une maison spécialisée dans les romans policiers et les romans pour ados.

Fabrice, depuis combien de temps travaillez-vous dans ce secteur de l’édition ?

Nous avons créé Le Lamantin en 2008. Nous ne connaissions pas très bien le milieu avant de publier notre premier livre et nous avons découvert les choses petit à petit.


Quel regard portez-vous sur la rentrée littéraire et l’avalanche de livres qui l’accompagne ?


Il y a un côté à la fois absurde et biaisé quand on voit la quantité de livres publiés entre la fin du mois d’août et le mois de septembre tous les ans. Absurde parce que chacun peut imaginer qu’il est impossible de lire 500 livres en quelques semaines. On ne peut ni les lire, ni les chroniquer, ni les vendre. Et c’est là qu’arrive le biais. Sur les 500 livres publiés à cette période de l’année, combien arrivent à avoir une place dans les rayons des librairies ? Beaucoup moins. Sans compter que les libraires ne vident pas leur boutique au mois d’aout pour ne prendre que les nouveautés à paraître.


Pensez-vous qu’une petite maison d’édition peut réussir à trouver une place au sein de cette rentrée ou vaut-il mieux pour elle différer ses parutions à un autre moment de l’année, pour éviter d’être totalement invisible ?


Tout dépend bien sûr de ce qu’on appelle une petite maison d’édition, mais encore une fois j’invite chacun à regarder les livres présents dans sa librairie ou sur les réseaux sociaux. Quel est le pourcentage de nouveautés dont vous entendez parler, alors même que vous lisez beaucoup ? Il est difficile pour un petit éditeur d’obtenir une place. Mais la question n’est pas limitée à la rentrée littéraire de septembre. Il y a un très gros embouteillage en littérature jeunesse en octobre/novembre avant Noël, le mois de janvier a désormais sa sortie littéraire, les polars sortent plus souvent au printemps, à l’approche des gros salons… Et je ne parle pas des sorties qui ont été reportées l’an dernier. Il y a trop de livres et il est impossible que tous aient accès au public. Certains éditeurs disaient l’an dernier avoir pris conscience du problème et avaient promis que « dans le monde d’après », ils réduiraient leur production. Vœu pieux qu’on ne voit pas vraiment.


Les prix littéraires donnent l’impression d’être une affaire d’accords entre les grandes maisons d’édition et pour ma part, je ne lis que rarement les livres couronnés. J’ai le sentiment que les gens achètent ces livres, uniquement parce qu’ils sont primés, sans chercher à savoir s’ils peuvent leur plaire. Qu’en pensez-vous ?

Les livres couronnés sont-ils réellement meilleurs que les autres selon vous ?
À titre personnel, je n’aime pas les prix littéraires. En règle général, je n’ai aucun esprit de compétition, mais alors dès qu’il s’agit de littérature, je trouve cela absurde. Les livres du Lamantin ont reçu des prix ou ont été finalistes, mais cela ne représente pas grand-chose pour moi.
Les prix littéraires les plus connus, décernés en cascade pendant l’automne sont souvent entachés de scandales et de soupçons d’arrangements douteux. Ils ont leurs règles et ne correspondent en rien au « meilleur livre » de l’année. Rien que le principe d’éliminer un livre déjà lauréat d’un autre prix permet de voir que les critères sont biaisés.
Il existe des centaines de prix littéraires en France. Chaque salon municipal en attribue, des magazines, des libraires, des chaînes de supermarchés… On a poussé l’absurde jusqu’à voir des éditeurs créer un prix des lecteurs pour faire ressortir un des livres qu’ils ont publiés. Tous ces prix permettent d’ajouter un bandeau, censé rendre plus visible le livre au milieu des dizaines d’autres. Qui ont tous un bandeau rouge, les uns pour un prix plus ou moins connu, les autres pour mettre en avant l’auteur de best sellers dans son pays d’origine.


Plusieurs milliers de livres sortent chaque année et la grande majorité ne rencontre malheureusement pas le succès attendu et sont noyés dans la masse. Comment peut faire une petite maison d’édition pour sortir son épingle du jeu ?


Face à la surproduction, à la place que prennent d’office les gros éditeurs dans les rayons des librairies ou à la frilosité de certains, il est bien difficile de faire vivre la bibliodiversité. Au Lamantin, nous n’avons pas d’objectifs de croissance comme nous n’avons pas d’égos souhaitant rejoindre le club des gros éditeurs. Nous souhaitons juste donner leur chance aux livres qui nous plaisent. Pour cela, il faut compter sur le soutien de libraires, mais surtout que les auteurs et autrices soient prêts à présenter leur livre dans des salons littéraires, qu’ils les dédicacent en librairie. Pour chaque livre publié, il faut se battre pour lui obtenir une petite place.

Parvenez-vous à maîtriser le nombre d’impressions de vos livres pour éviter un trop grand gaspillage ? Avez-vous mis en place des moyens pour lutter contre le gaspillage du papier lié à la mise au « pilon » des invendus ?


25% des livres imprimés finissent au pilon, c’est à dire qu’ils sont détruits sans avoir été lus. Imaginez le nombre de pages que cela représente tous les ans. Quand un éditeur (ou son diffuseur) place quelques exemplaires de ses livres dans une librairie, il est très probable qu’une bonne partie revienne sans être vendue. Or les livres en question auront été exposés à la lumière, feuilletés, manipulés, expédiés deux fois… Ils ne sont donc plus vendables à l’état neuf. Parmi les gros éditeurs, nombreux sont ceux qui préfèrent la destruction à la vente des défraichis ou à l’allongement du cycle de vie d’un ouvrage. Tout simplement parce que cela fait de la place pour le livre suivant et que ça limite les frais de stockage. Au Lamantin, nous partons systématiquement sur des tout petits tirages, que l’on renouvelle rapidement dès que les stocks diminuent. Nous imprimons en France et notre imprimeur est très réactif. Cela permet de limiter les risques au départ.
Nous ne sommes pas seuls à faire attention à l’impact écologique de nos publications. Nous faisons ainsi partie du collectif Livr&co. Sur leur site, les critères environnementaux ou sociaux sont mis en avant (type de papier, type et lieu d’impression, engagements sur les droits d’auteurs, pilonnage…). Cela fait du bien de voir qu’on n’est pas seuls.
Malgré toute notre bonne volonté, il peut nous rester des ouvrages au fond de nos cartons pendant plusieurs années. Nous refusons le pilon et nous nous engageons auprès des auteurs à ne pas détruire leur livre. Nous pouvons les proposer à prix réduits sur notre site, mais surtout, nous les offrons à des structures sociales et nous n’oublions pas les boites à livres chères à Mangeur de livres. 😉

Enfin, certains font valoir le fait que la rentrée littéraire et les prix qui l’accompagnent permettent de mettre en lumière le secteur de l’édition dont l’équilibre est précaire. Qu’en pensez-vous ?


Les prix les plus prestigieux (ou les plus médiatisés) font vendre, c’est certain. De là à dire qu’ils font vivre l’édition, c’est une autre question. Ils peuvent aider leurs éditeurs, mais après ? Les libraires profitent aussi de cette manne, mais si le prix Goncourt n’existait plus, il est probable que tous ceux qui achètent le livre du gagnant pour l’offrir à Tata Martine à noël se rabattraient vers un autre titre.
Les prix les plus connus ne concernent qu’une poignée d’éditeurs et les échos sont autant sur les conditions d’attributions que sur les ouvrages. Nous, petits éditeurs, ne vivons pas dans le même milieu. Tous les ans, nous savons que les médias parleront de livres à deux occasions, en mars au moment du salon du livre de Paris, et à la rentrée littéraire. Mais le reste de l’année, ce sont les lecteurs qui font vivre la profession, ce sont ceux qui chroniquent nos livres et partagent leurs lectures.

Merci à Fabrice pour ses réponses. N’hésitez pas à découvrir les livres des éditions du Lamantin sur leur site internet.

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